Mais
c'est quoi, ça? Ça, la Vie? Ce truc informe que vous appelez la VIE? La
Vie, on a même pas le temps de la vivre. On bouffe, on dort, on pleure,
on désespère, on pollue et on pollue encore. On travaille. On crève. Et
ça, c'est pour les plus chanceux. Les moins chanceux naissent aussi au
monde en pleurant, comme les autres ; mais juste après, ils bouffent la
poussière. Ils se crèvent, à cinq ou six ans déjà, pour pouvoir très
maigrement nourrir une minorité de leur famille. Et ils rêvent et
désespèrent en entendant parler de cet Occident, de cette Europe, cette
merveilleuse Europe où les gens ne sont pas plus heureux, mais sans
doute plus cons. On a tous nos illusions. Mais elles sont toutes déçues
un jour ou l'autre.
C'est ça, la Vie? Cette fameuse vie que vous
vantez, et pour laquelle vous faites venir des enfants au monde? C'est
vrai, c'est tellement beau, il faut qu'ils voient ça. Venez, venez
petits. Ne hurlez plus quand vous venez au monde, s'il-vous-plaît, avec
tous ces médias, tous ces pleurs, tous ces morts à enterrer, tous ces
cris, on ne s'entend déjà plus! Mais observez donc, observez bien.
Observez la fleur qui se fane - la nappe phréatique qui la faisait
vivre a été polluée par l'homme ; observez les enfants qui meurent de
faim, quand vos joues sont trop bouffies ; observez le nombre de morts
qu'il y a chaque jour sur terre, et je ne parle encore que des hommes,
observez-les bien, car vous ne saurez pas les compter ; observez,
observez bien comment UN animal, celui qui se croit le plus
intelligent, le plus fort, le plus tout, a réussi - en tout cas le
croit-il - à dompter la nature. Dompter, ce devrait être apprivoiser.
Dompter, c'est pour lui détruire, polluer, tuer, tuer, tuer. Mais
venez, venez donc! Venez observez les corrompus richissimes qui
dirigent le monde, et le monde qui se meurt, qui se crève à la tâche,
une tâche qui ne lui permet même pas de vivre, à peine de survivre.
Ah!
C'est vrai, elle est belle notre planète. Enfin, elle devait l'être,
quand elle était encore bleue - oui, oui, enfants, la planète était
bleue, difficile, je le sais, à croire, quand elle est à présent
noire... Noire de monde, noire de pollution, noire d'humour noir car on
n'y rit plus, noire des excréments que nous sommes (et j'en fais
partie), noire de tous ces déchets qu'elle tente en vain d'absorber,
noire de tous ces morts, noire de tous ces mots inutiles, noire des
larmes de sang séché qu'elle verse encore, le soir, noire de ne plus
voir le soleil, noire, noire, noire. Noire car les mouches se jettent
sur les corps, noire car on a tout détruit, on en a trop fait, trop,
beaucoup trop.
Allez, venez, venez la voir. Naissez donc, sortez de
ce foutu ventre et naissez, venez voir comme c'est doux à la surface!
Ah, elle est douce, cette odeur de viande, cette odeur d'animal mort?
Cette odeur d'hommes qui laissent crever leurs semblables sans papiers.
Cela ne sent-il pas bon, l'Homme, l'Homme pourri, gâté, jusqu'à la
moelle? Cela ne sent-il pas bon, les pots d'échappement de la ville?
N'aimez-vous donc pas votre propre odeur? Celle de la Mort, que vous
invoquez chaque jour un peu plus. Aujourd'hui, à chaque geste on peut
rattacher une mort. Surplus d'électricité? On a peut-être fait crever
des milliers d'animaux, ou déforestés des hectares entiers ; je passe
sur une autoroute? Oooooh, combien d'insectes ai-je donc écrasé
aujourd'hui? ; un achat, une course quelconque? Bonjour le plastique,
le carton non recyclé, venez là petits arbres fraîchement abattus!
Ne
vous vient-il alors jamais à l'idée qu'ils ont peut-être davantage le
droit de vivre que nous? Ne comprenez vous pas que toute la nature
vivait en symbiose, chaque élément s'entendant avec les autres, avant
que l'homme décide de tout changer? Vous ne le voyez pas, ça?
Finalement, je me demande si la profession la plus prometteuse n'est
pas ophtalmologue. Qu'on vous ouvre les yeux, qu'on vous cloue les
paupières! Regardez cette réalité en face, regardez-là. Des gens, des
animaux, des arbres, des champignons, tout, tout crève pour votre petit
confort.
Et vous ne culpabilisez même pas.