Rain
My name is Rain.
"Je m'appelle Rain". La jeune fille avait parlé. Elle ne devait pas
avoir plus de l'âge qu'elle prétendait avoir. C'était là quelque chose
qui la différenciait des autres.
Ainsi, elle s'appelait Pluie. Ce
nom lui allait fort bien. Elle semblait si conciliante, et en même
temps avoir tant de caractères ; ses yeux bleus-gris, d'une douceur
extrême, auraient rappelé le ciel d'orage au pessimiste. Pluie. C'était
sobre. Elle n'était pas prétentieuse de ce nom, non.
Je le compris plus tard, Pluie était vraiment une enfant du ciel. Voilà ce qui la différenciait encore des autres jeunes filles.
Lorsqu'il
pleuvait, Pluie passait inaperçue : une goutte parmi tant d'autres.
Lorsque le soleil décidait de briller, l'on eut presque crû voir un
arc-en-ciel au fond de ses yeux.
Ses yeux... Ils avaient des reflets
comme nul autre n'en avait - et n'en aurait jamais. Des reflets roses.
Lorsque je m'en étonnai, Pluie dit simplement que ses sœurs brillaient
à travers elle. Un matheux n'aurait jamais compris ce qui sonnait comme
une métaphore - car Pluie était fille unique. Plus que fille unique,
d'ailleurs. Elle était orpheline. Elle était arrivée ici, maintenant.
Enfin, quelques mois avant que je ne la remarque. Car Pluie se fondait
facilement dans la masse. Et personne ne savait d'où elle venait, qui
l'avait élevée, ou même à quoi elle ressemblait lorsqu'elle était plus
jeune. Non. Elle s'appelait Pluie, avait des yeux couleur ciels et un
visage indéfinissable, elle possédait un caractère paradoxal. Point. Il
n'y avait rien à lui soutirer. D'aucune manière que ce soit.
Pluie se contentait de l'amitié "de l'eau". Elle était à l'aise dans les cours d'eau comme personne.
Les
jours de pluie, je la voyais souvent préoccupée. Quelqu'un me dit un
jour ce qu'elle - il faut le croire - devait penser : s'il pleut, c'est
que le ciel veut nous dire quelque chose, ou qu'il se passe quelque
chose de grave : on n'éjecte pas de leur maison des dizaines de filles
goutes ni de fils flocons pour rien.
Car Pluie semblait se sentir
plus du Ciel que de la Terre. Sa démarche était très aérienne, et en
même temps très lourde. Comme je l'ai dit, Pluie était faite de
paradoxes.
Si chez vous, il a déjà plu, vous avez déjà, comme moi,
dû apercevoir quelques flaques boueuses se former. Lorsqu'elle en
croisait une, Pluie s'arrêtait un instant, le regard nostalgique. Un
jour, j'osai lui demander pourquoi ce regard envers cette flaque - pour
moi, ce n'était jamais que de la boue, et du reste, je n'aimais pas
trop perdre mon temps pour simplement zieuter une flaque de boue...
Elle
dit juste : "C'est comme ça que je suis née. Pourquoi crois-tu que
j'aie cette couleur?". Et elle repartit. Effectivement, la peau de
Pluie était un peu plus foncée que la mienne - excepté son visage,
d'une blancheur presque translucide.
Un jour, dans la rue, elle
s'envola. On m'avait déjà raconté un épisode comme celui-là, où elle
avait faillit s'envoler, mais je ne l'eut pas crû avant de l'avoir vu
de mes yeux. Mais là, devant moi, Pluie décolla du sol. Elle ne parut
ni effrayée ni quoi que ce soit. Le plus étrange était que, ce jour, il
n'y avait pas de vent. Nous la rattrapâmes, mais Pluie voulait que nous
la lâchions. Ils m'attendent... Ils m'ont appelée... Pluie
nous faisait peur, nous pensions que, peut-être, elle était malade.
Nous la retînmes de force sur le sol, et l'emmenâmes à l'infirmerie
dévouée aux bâtiments scolaires.
Pluie était redevenue docile, et
l'infirmière ne crût rien de ce que nous pouvions lui raconter. Pluie
repartit. Je ne la revis plus jamais. Mais, parfois, je croise en rue
l'une ou l'autre jeune fille qui lui ressemble. Je ne manque jamais de
m'arrêter, frappé par cette ressemblance - ces filles n'avaient jamais
le bon âge que pour être sœurs, filles ou mères de Pluie. Toujours, ces
jeunes filles me saluent étrangement, comme si elles me connaissaient,
sans toutefois savoir qui je suis.
Je crois, qu'en fait, elles
savaient toutes à qui je pensais en les voyant. Ce n'était peut-être
pas Pluie, mais je compris qu'elles étaient toutes sœurs, et en même
temps une seule. Elles n'étaient qu'envoyées par le Ciel. Et puis elles
devaient rentrer.
Je ne vis plus jamais une goutte d'eau, un jour
pluvieux ou une flaque de boue de la même manière, après le départ de
Pluie. J'ai même appris à communiquer avec le Ciel : les nuages
semblent répondre à mes questions, mais peut-être que je deviens
seulement fou.
Mais je compris aussi que si Pluie avait l'air si
préoccupée, les jours pluvieux, c'était qu'elle ne voulait pas qu'on la
dérange : quand une horde d'amis s'invite chez vous, vous n'avez pas
envie de voir défiler les vendeurs de porte-à-porte, les curieux, les
voisins...juste devant chez vous. Pluie saluait ses sœurs. Peut-être
leur donnait-elle des conseils, ou des instructions. Un simple regard
lui suffisait à faire passer tant de choses.
Aujourd'hui, j'ai une
fille. Elle a des reflets roses au fond de ses yeux bleus. Parfois, je
me demande si je rêve. Parfois, je me demande qui sont, finalement, ses
parents. Et si nous sommes au courant de tout. Le premier mot qu'elle a
prononcé fut "Lune". Finalement, je me demande si ce ne sont pas les
enfants, qui choisissent leur prénom. Finalement, je me demande si ce
ne sont pas les enfants, qui choisissent leur destin.